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Article de presse
Le Figaro - Juillet 1978
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LES VACANCIERS ONT ADOPTE LE NAVIPLANE
Les bateaux-avions de Saint-Tropez vont avoir deux frères.
Un petit dans quelques jours sur la Loire. Un grand dans un an
pour la Corse.
On dirait une baleine entourée d'un nuage d'écume légère.
Passant de l'eau au sable de la plage d'un même élan, le
naviplane "la Croisette" arrive à Cannes venant de
Saint-Tropez. Avec le même mouvement que celui d'un dromadaire
qui s'agenouille pour laisser descendre son cavalier, sa jupe de
caoutchouc se dégonfle, s'affaisse et ce n'est plus qu'un gros
bateau échoué à même le sol qui dégorge ses quatre-vingts
passagers.
"La première fois que je l'ai vu, raconte André Helbert,
son premier pilote, trente-six ans, des yeux gris dans un visage
très bronzé, je me suis dit : C'est bien gros". Pour lui,
c'était une sorte de monstre : 23,50 m de long, 11 m de large, 8
m de haut, 30 tonnes.
Comment le conduire ? se demanda-t-il. A quel examen le soumettre
? murmurent les techniciens. Le naviplane n'est ni avion ni
bateau. De toute façon, Helbert a une double qualification :
commandant au long cours, il prépare son deuxième degré de
pilote d'avion.
Voici enfin André Helbert aux commandes. Rien de semblable à la
conduite d'un avion ou d'un bateau. Le naviplane parait n'en
faire qu'à sa tête : "Il se comporte, dit Helbert, comme
une savonnette dans une baignoire".
Après deux cents heures de vol, le pilotage est devenu pour lui
un plaisir. "J'ai l'impression de conduire ma voiture. Je ne
suis jamais pris au dépourvu quand il dérape. Il faut lui faire
confiance".
Le lundi 3 août, à 6 heures du soir, Claude Pradelle, une étudiante
brune aux yeux noisette, arrive aux bureaux du Naviplane à
Cannes et demande un billet pour Nice. On se précipite sur elle
: "Vous êtes notre dix millième passagère, nous allons fêter
l'événement".
Depuis le mois de mai, en planant à vingt centimètres au-dessus
de l'eau, les deux naviplanes en service, "la Baie des Anges"
et "La Croisette" relient Nice, San Remo, Saint-Tropez,
Cannes et Monaco à 100 km à l'heure. Leur clientèle s'accroît
lentement : 1993 passagers en mai, 3148 en juin, 4523 en juillet.
Est-ce un succès ?
"Au début, dit André Helbert, je regardais les passagers.
Je suis assez physionomiste. Je ne les voyais jamais revenir.
Seule la curiosité les attirait".
Depuis trois semaines ils reviennent, la plupart chargés de
valises. Les encombrements de la route font au naviplane la plus
efficace des propagandes. Lui seul apporte la certitude de ne pas
rater l'avion à l'aérodrome de Nice.
Pourtant, il n'en est encore qu'au stade des essais. Un moteur
d'avion fait habituellement ses deux cents heures d'essai en
laboratoire. Le naviplane, lui, les fait avec des passagers.
Mais, à la différence d'un avion, il ne peut tomber. En cas de
panne complète, son caisson étanche sous cinq atmosphères de
pression lui permet de flotter comme un radeau.
Comme un avion classique, avec ses turbomoteurs de trois mille
chevaux, il est bruyant. Rendre le naviplane aussi insonore
qu'une cabine de Caravelle ne pose cependant aucun problème
technique. Mais le silence coûte cher. Et, sur un prototype, les
prix sont serrés.
"Le confort n'a pas été notre préoccupation première,
explique Abel Thomas, président de la SEDAM (Société d'études
et de développement des aéroglisseurs marins), la société
constructrice. Le naviplane n'est pas conçu comme un instrument
de tourisme. C'est un instrument utilitaire de transport rapide".
Les Canadiens ont pris une option
Familier des maquis administratifs, Abel Thomas a réussi à intéresser
les Pouvoirs publics au dossier de Jean Bertin, l'inventeur du
naviplane et de l'aérotrain, a réuni les fonds, créé une société
constructrice, sorti enfin, en 1968, le premier prototype, le N
300. Pour ce "rapide des mers", comme l'appelle Abel
Thomas, un contrat d'option est déjà signé avec Fiat pour une
action commune sur le plan européen.
Dans quelques jours, un autre prototype, le N 102, capacité
douze personnes, sillonnera la Loire, pour la visite des châteaux.
Petit transporteur rapide, le N 102 assurera l'an prochain la
liaison entre les stations du Languedoc-Roussillon. Les Canadiens
ont une option pour la licence de cet appareil qui, à 80 kilomètres
à l'heure, peut traverser les lacs, remonter les fleuves et
glisser sans discontinuité sur la neige et la glace.
L'année prochaine sera celle du N 500 : cent tonnes, 150 kilomètres
à l'heure, quarante voitures, quatre cents passagers pour la
Corse - quatre-vingts minutes de Nice à Bastia - et l'Angleterre
où il entrera en compétition avec l'aéroglisseur Hovercraft déjà
installé, lui, sur la Manche.
Sur mer, l'ère de la vitesse a commencé. "Dans quinze ans,
dit Abel Thomas, des aéroglisseurs de plusieurs milliers de
tonnes traverseront l'Atlantique". Les Américains viennent
de comprendre tout l'intérêt de ce nouveau moyen de transport
qui ne nécessite aucune infrastructure au sol. La Compagnie Bell
Aerosystem étudie un appareil de dix mille tonnes. "Pour la
première fois, dit Abel Thomas, la technique française a sur
eux une avance de trois ans".
© Paris Match N°1059 - 23 août 1969, pages 7 et 10
Biographie
de Jean Bertin (Celui qui a permis le développement du coussin d’air)
Jean
Bertin est né le 5 septembre 1917 à Druyes-les-Belles-Fontaines
(Yonne). Après des études à Polytechnique (Promotion 1938) et
à l'Ecole Nationale Supérieure de l'Aéronautique, il entre en
1944 à la SNECMA dont il devient le Directeur Technique adjoint
chargé des Etudes Spéciales sur les moteurs et la propulsion.
On
lui doit à cette époque bon nombre d'inventions remarquables,
comme par exemple celle de l'inverseur de poussée qui équipe
aujourd'hui la presque totalité des moteurs d'avions à réaction.
Très
impressionné par le dynamisme et la créativité des industriels
américains qu'il a comme modèles, il prend congé du Corps des
Ingénieurs de l'Air et quitte la SNECMA le 1er octobre 1955 pour
fonder sa propre société : BERTIN & CIE.
La
société BERTIN & CIE nait officiellement le 27 février
1956. C'est Gabriel Voisin, pionnier de l'aviation et
grand ami de Jean Bertin qui héberge alors la société, rue des
Pâtures à Paris.
Les
premières réalisations de BERTIN & CIE portent sur l'étude
de silencieux d'avions, et c'est en réalisant ce type d'étude
qu'un ingénieur de la société "redécouvre" par
hasard en 1957 le phénomène d'effet de sol, ou "coussin
d'air".
Cette
découverte, associée à celle des jupes souples ouvre la
perspective à de nouveaux moyens de transport, puisque le
coussin d'air, en permettant de déplacer une charge sans
frottement, autorise à s'affranchir de... la roue !
Dès
lors, les recherches en matière de transport sur coussin d'air
sont menées dans trois directions, avec les Terraplanes (aéroglisseurs
terrestres), les Naviplanes (aéroglisseurs marins), et
surtout l'Aérotrain, dont le premier prototype circule à
la fin de l'année 1965.
Jean
Bertin n'a alors de cesse de se battre pour qu'une ligne
commerciale d'Aérotrain soit construite en France. Il en obtient
des garanties formelles au début de 1974, mais l'Etat se retire
finalement du projet le 17 juillet suivant.
Jean
Bertin ne résiste pas au choc de ce désistement. Il meurt à
Neuilly le 21 décembre 1975.
Les véhicules à coussin d’air
par Jean BERTIN lors d’une conférence
1.
- Introduction
Avant de rappeler brièvement les principes généraux -
d'ailleurs très simples - qui sont à la base de cette
technique, il faut mettre au point un problème de terminologie.
Le terme qu'il est recommandé d'utiliser maintenant en France
pour désigner ce type de véhicules, est "Aéroglisseur"
; il a au moins le mérite de la concision. En Angleterre, le
terme de "Hovercraft" choisi par son inventeur pour la
première machine est, en quelque sorte, devenu le terme générique.
L'effet utilisé pour la sustentation des Aéroglisseurs est une
manifestation des forces de liaison qui apparaissent sous
certaines conditions entre deux corps placés en présence.
Ainsi, supposons que dans la célèbre expérience de Magdebourg,
les demi-sphères ne soient pas jointives et qu'une distance,
petite par rapport à leur diamètre, sépare leurs bords. Si
l'on dispose d'une pompe aspirant l'air à l'intérieur des hémisphères,
le rejetant à l'extérieur et que sa puissance soit suffisante,
on peut encore maintenir dans l'enceinte une certaine dépression
(cette dépression représente la perte de charge liée au débit
d'air aspiré à travers le petit espace annulaire). L'action de
cette dépression est encore d'exercer sur les deux demi-sphères
une force d'attraction dont l'intensité dépend à la fois des
dimensions et évidemment de la grandeur de la dépression.
L'effet de sol correspond à cela, mais à l'inverse pourrait-on
dire : l'air est insufflé dans la cavité, s'échappe par la
fente et les forces sont alors de répulsion.
Un des premiers aéroglisseurs
(sans jupe)